Grand-père tenant un enfant
Story

Grandir avec l'autisme dans les générations passées

Marina Sarris | Réseau interactif sur l’autisme de l’Institut Kennedy Krieger
Les adultes autistes disent avoir vécu diverses expériences dont, pour certains, des cas d’intimidation, de mauvais diagnostics à l’enfance et, ainsi, un manque d’accès aux services. Certains parlent même d’un parcours de découverte de soi plus tard dans leur vie après avoir reçu un diagnostic. La détection précoce et la prestation de services tout au long de la vie sont essentielles.

GROWING UP WITH AUTISM IN PAST GENERATIONS

En grandissant, Jennifer Scriven était cette enfant. La cible des blagues, la fille que l’on faisait trébucher dans le corridor, celle qui était intimidée dans la cour d’école et qui, lors d’une bonne journée, s’est contentée de fuir. Lorsqu’elle s’est plainte, les enseignants ont suggéré qu’elle était en partie responsable. Elle ne parlait pas, n’agissait pas et ne se vêtissait pas comme les autres enfants. « Le message était : “Tu ne te conformes pas, alors à quoi t’attends-tu?” » se rappelle-t-elle.

C’était le Kansas des années 1970 et 1980, mais cela aurait pu se produire n’importe où. Ce que personne ne savait, ou n’aurait pu savoir, c’était que Jennifer était différente par conception, et non par choix. Ce qui la rendait différente n’apparaîtrait pas dans un manuel de diagnostic avant qu’elle ait 26 ans, et ne s’appliquera pas formellement à elle avant qu’elle ait 48 ans : le syndrome d’Asperger ou le « trouble du spectre de l’autisme sans déficience intellectuelle », comme on l’appelle maintenant.

Lorsqu’elle est née en 1968, l’autisme était un diagnostic que l’on réservait aux enfants ayant d’importants retards de développement1. Les spécialistes croyaient que l’autisme affectait seulement quatre ou cinq enfants sur 10 0002.
Madame Scriven était déjà une adulte lorsque les psychiatres américains ont commencé à repousser les limites du diagnostic, explorant le terrain encore inconnu du trouble envahissant du développement non spécifié et du syndrome d’Asperger plus léger en 19943. Puisque la définition a été élargie, le nombre de personnes ayant reçu ce diagnostic augmentait.

UN HÉRITAGE D’INTIMIDATION ET DE FAUTE PORTÉE SUR LA VICTIME

Si la conformité régnait dans la salle de classe des années 1950, les élèves sur le spectre faisaient face à des défis particuliers. Leur autisme n’étant pas reconnu, ils étaient parfois perçus comme des personnes volontairement non conformistes, perturbatrices ou émotionnellement instables. Certains sont parvenus à obtenir des résultats exemplaires, alors que d’autres ont fait ce qu’ils ont pu sur le plan scolaire, parfois dans des classes distinctes pour l'éducation de l'enfance en difficulté, parfois non.

Ils sont nombreux à dire qu’ils ont été victimes de moqueries et d’attaques à l’enfance et à l’adolescence. Kiran Puri, maintenant âgée de 49 ans, se souvient très bien de ses années à l’école primaire lors desquelles ses camarades de classe ont exploité sa crédulité et son désir de « s’intégrer ». À la cafétéria, une fille lui avait demandé de mettre la moitié d’une orange dans sa bouche, puis s’était moquée d’elle lorsqu’elle s’était exécutée. Plus tard, un élève de cinquième avait insisté pour qu’elle imite « ce que tu fais quand tu vas aux toilettes », a indiqué madame Puri, qui a reçu un diagnostic d’Asperger à 43 ans. « On m’intimidait parce que j’étais trop crédule et que je désirais plaire à tout prix », a-t-elle mentionné.

Paige Hulsey, 37 ans, ne savait pas pourquoi elle se faisait intimider pendant son enfance. « Je me faisais perpétuellement intimider et j’éprouvais de la difficulté à comprendre pourquoi, s’est rappelée Paige, qui a reçu un diagnostic en 2014. J’avais un appareil orthodontique, mais ce n’était pas parce que je portais cet appareil. J’étais potelée, mais ce n’était pas parce que j’étais potelée. » Tout comme madame Scriven, elle croit que les enseignants et les autres lui reprochaient d’être responsable de l’intimidation qu’elle subissait. « Leur réaction habituelle était de dire : “tu dois arrêter d’agir bizarrement. Si tu n’étais pas si étrange, tout irait bien’’. »

À l’école primaire, son vocabulaire développé et ses différences sociales – les symptômes du syndrome d’Asperger – ont attiré l’attention des enseignants. Ils voyaient cela comme des signes de douance, et non d’autisme, a-t-elle expliqué. Elle s’est donc retrouvée dans des programmes destinés aux élèves doués, mais n’a pas été très bonne. L’environnement sensoriel de l’école perturbait son apprentissage. Que ce soit en Californie, où elle est née, ou bien 9 000 kilomètres plus loin en Grande-Bretagne, où elle a fréquenté l’école secondaire, les mauvais traitements et l’incompréhension l’ont suivie. L’intimidation allait du rejet aux agressions physiques flagrantes, a-t-elle mentionné. Elle ne se souvient pas avoir reçu l’aide de qui que ce soit. « J’étais considérée au même titre que les agresseurs comme étant la source du problème », a indiqué Paige, qui a obtenu un baccalauréat en santé publique en 2017.

SYMPTÔMES OBSERVÉS, DIAGNOSTIC ERRONÉ

Tout comme Paige, Rebecca Evanko a été jugée intellectuellement douée au primaire. Elle excellait dans les concours d’écriture en Australie, son pays natal. « Vers l’âge de 9 ou 10 ans, il y a eu un changement brutal et l’école est devenue intolérable, en grande partie partie parce que je me faisais intimider et que je devenais de plus en plus consciente que j’étais une mésadaptée sociale, particulièrement en compagnie des petites cliques de préadolescentes et d’adolescentes. » Vers l’âge de 11 ans, les tests de l’école ont apparemment révélé que j’étais ‘‘retardée’’. J’ai abandonné l’école au troisième mois de ma neuvième année, à l’âge de 15 ans », a-t-elle mentionné dans un courriel. Comme plusieurs personnes interrogées, elle aimait mieux une conversation par courriels plutôt qu’un appel téléphone avec un étranger.

Lorsque Rebecca était une enfant, sa mère l’avait emmenée consulter des intervenants en santé mentale pour obtenir du soutien. Elle avait de la difficulté à regarder quelqu’un droit dans les yeux, à parler dans des contextes sociaux et à maîtriser ses crises. « Mes excès de violence, ou mes crises de colère ont été des éléments marquants d’une grande partie de mon enfance », se souvient-elle. Vers l’âge de 11 ans, elle a passé une fête d’anniversaire sous la table de cuisine de la maison de l’hôte, car elle était accablée par le bruit et les attentes sociales. Ses symptômes ont été remarqués, mais pas reconnus comme ceux de l’autisme. « Dans les années 1970 et 1980, on ne connaissait pas tout au sujet de l’autisme, notamment en ce qui concerne la manière dont il se manifeste chez les filles », a-t-elle mentionné. Elle ne sera officiellement diagnostiquée qu’en 2012, l’année où elle a eu 45 ans. Entre temps, elle était retournée à l’école, et avait obtenu une équivalence d’études secondaires, un diplôme universitaire et finalement un doctorat en linguistique cognitive.

Le trouble du spectre de l’autisme est moins souvent diagnostiqué chez les filles et les femmes que les garçons et les hommes4. Toutefois, au cours des dernières années, les chercheurs et les chercheuses se sont demandé si les femmes autistes – notamment celles qui ne présentent pas de déficience intellectuelle – restent dans l’ombre et sont plus susceptibles d’être oubliées que les hommes en raison de manifestations et de capacités d’adaptation différentes.

RECEVOIR UN DIAGNOSTIC DE TSA À L’ENFANCE

Le fait de recevoir un diagnostic à l’enfance, et d’avoir l’attention des éducateurs spécialisés, aurait-il permis d’empêcher l’intimidation pour cette génération?

David M. Leon, 34 ans, du New Jersey, a reçu un diagnostic d’autisme à l’âge de 3 ans, et a pu profiter d’une intervention précoce. Lorsqu’il a commencé l’école, ses enseignants savaient qu’il était autiste. Malheureusement, ils n’ont pas empêché l’intimidation.

« J’avais quelques amis à l’école primaire privée, mais à l’école publique, j’étais rejeté, battu, maltraité, intimidé et laissé pour compte la plupart du temps, et j'ai dû apprendre à me débrouiller seul, avec le soutien de ma famille », a-t-il écrit dans un courriel. Heureusement, certains enseignants prenaient des nouvelles de lui. De plus, son talent musical et son travail dans la chorale lui ont valu les éloges et l’attention du directeur. Cependant, ce n’était pas la même histoire avec ses camarades de classe. « Ceux qui étaient populaires n’interagissaient pas avec moi seulement parce qu’ils se pensaient cool », a lancé monsieur Leon. Même aujourd’hui, avec une sensibilisation du public à l’autisme qui n’a jamais été aussi élevée, l’intimidation demeure un problème présent pour les élèves sur le spectre.

LA DÉCOUVERTE DE SOI POUR LES PERSONNES DIAGNOSTIQUÉES TARDIVEMENT

Ce n’était pas que les adultes qui semblaient rejeter la faute sur les enfants autistes non diagnostiqués pour leurs problèmes avec les interactions sociales. Ces enfants se sont aussi parfois accusés eux-mêmes. Dans un article destiné au Réseau interactif sur l’autisme, le psychologue Simon Baron-Cohen et ses collègues ont souligné qu’une « faible estime de soi » était, pour certains, l’héritage laissé par ce genre d’intimidation et d’exclusion sociale.

Jennifer Scriven a mentionné qu’elle a grandi en croyant que ses difficultés sociales étaient un « défaut de caractère ». Lorsque son fils a reçu un diagnostic de TSA, tout a changé, et elle a commencé à s’informer sur le sujet. Ce diagnostic a eu un effet libérateur pour elle. « De nombreux autistes de haut niveau de fonctionnement, notamment les femmes, qui aiment apprendre à mieux se connaître à tout âge. Nous sommes heureuses de savoir pourquoi nous faisons certaines choses, comme l’autostimulation. C’est très habilitant », a expliqué madame Scriven, qui a obtenu un diplôme d’études supérieures en anthropologie culturelle. Son emploi actuel consiste à transcrire des enregistrements, un travail qui mise sur son écoute supérieure et son perfectionnisme, des traits qu’elle attribue à son TSA.

Obtenir un diagnostic à l’âge adulte peut s’avérer difficile, car de nombreuses cliniques spécialisées en autisme ne reçoivent que des enfants et des adolescents. Pour certains adultes, le seul fait de reconnaître qu’ils possèdent des traits autistiques peut être tout aussi utile qu’un diagnostic médical.

C’était le cas de Lauren, 65 ans, une artiste de l’Oregon qui n’a pas reçu de diagnostic. Lorsque son fils a reçu un diagnostic d’Asperger en 2006, elle a acheté un livre sur le sujet et a reconnu « l’enfant qu’elle était » à la lecture des pages. Elle a rapidement réalisé pourquoi elle répétait des conversations, imitait les autres dans des situations sociales et suivait des règles strictes qu’elle avait elle-même créées. « J’étais très soulagée de savoir que je n’étais pas une extra-terrestre, mais bien l’une des nombreuses personnes à avoir ces différences », a-t-elle mentionné par courriel.

Issu de la génération du baby-boom, Garret Mathews, 67 ans, a rédigé un blogue sur « sa sortie du placard » intitulé En 2016, j’ai appris que j’avais le syndrome d’Asperger. « Lorsque j’ai enfin découvert pourquoi j’ai toujours été différent, un énorme poids est tombé de mes épaules. Je comprends maintenant pourquoi je pense ceci, et pourquoi j’évite cela », a mentionné le journaliste retraité.

LES OCCASIONS MANQUÉES

Un diagnostic peut laisser un goût amer, apportant à la fois un soulagement et une constatation des occasions manquées. Certains membres de la « génération perdue » se sont demandé si leur vie aurait été plus simple si on leur avait offert des services scolaires, des formations en habiletés sociales, des programmes d’emploi adaptés aux autistes, ou si on les avait tout simplement compris, lorsqu’ils étaient plus jeunes.

De nombreuses personnes, y compris madame Puri, ont indiqué vivre des problèmes aujourd’hui, notamment avec les programmes d’emploi qui ne semblent pas adaptés aux personnes de leur génération qui sont autistes ou Asperger.
« L’accent n’a pas été suffisamment mis sur ma génération », a expliqué la Missourienne qui tente de trouver un emploi qui correspond à ses compétences. « Nous sommes un bel exemple de ce qui se produit lorsqu’une personne n’obtient pas le soutien adéquat, ne reçoit pas le bon diagnostic et n’est pas comprise correctement ».

Le Réseau interactif sur l’autisme souhaite remercier les personnes qui ont accepté de prendre part aux entrevues pour cet article.

Références :

  1. Evans, B. (2013). How autism became autism: The radical transformation of a central concept of child development in Britain. History of the Human Sciences, 26(3), 3-31. doi :10.1177/0952695113484320
  2. Christensen, D. L., Baio, J., van naarden Braun, K., Bilder, D., Charles, J., Constantino, J. N., et Yeargin-Allsopp, M. (2016). Prevalence and characteristics of autism spectrum disorder among children aged 8 years — autism and developmental disabilities monitoring network, 11 sites, États-Unis, 2012. Morbidity and Mobility Weekly Report: Surveillance Summaries 65(3), 1–23. doi :10.15585/mmwr.ss6503a1
  3. Barahona-Corrêa, J. et Filipe, C. (2015). A concise history of Asperger syndrome: The short reign of a troublesome diagnosis. Frontiers in Psychology, 6, 2024. doi :10.3389/fpsyg.2015.02024.
  4. Ofner, M., Coles, A., Decou, M., Do, M., Bienek, A., Snider, J. et Ugnat, A. (2018). Autism spectrum disorder among children and youth in Canada 2018: A report of the national autism spectrum disorder surveillance system. Ottawa : Agence de la santé publique du Canada.
  5. Hiller, R. M., Young, R. L. et Weber, N. (2014). Sex differences in autism spectrum disorder based on DSM-5 criteria: Evidence from clinician and teacher reporting. Journal of Abnormal Child Psychology, 42(8), 1381-1393. doi : 10.1007/s10802-014- 9881-x
  6. Hiller, R. M., Young, R. L. et Weber, N. (2016). Sex differences in pre-diagnosis concerns for children later diagnosed with autism spectrum disorder. Autism: The International Journal of Research and Practice, 20(1), 75-84. doi : 10.1177/1362361314568899
  7. Mandy, W., Chilvers, R., Chowdhury, U., Salter, G., Seigal, A. et Skuse, D. (2012). Sex differences in autism spectrum disorder: Evidence from a large sample of children and adolescents. Journal of Autism and Developmental Disorders, 42(7), 1304-1313. doi : 10.1007/s10803-011-1356-0
  8. Mathews, G. (2017). An aspie come out of the closet: In 2016 I learned that I have Asperger's [Page Web]. Tiré de https://medium.com/an-aspie-comes-out-of-the-closet/i- learned-in-2016-that-i-have-aspergers-ec86aad6c440​

Reproduit avec la permission de l’Institut Kennedy Krieger, Baltimore (MD), États-Unis. Cette information a été diffusée initialement sur le site Web communautaire du Réseau interactif sur l’autisme à l’adresse IANCommunity.org. Le texte original a été adapté avec autorisation, mais l’Institut Kennedy Krieger n’assume aucune responsabilité concernant les modifications.

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