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Dire ou ne pas dire : révéler son autisme sur son lieu de travail et considérations pour postuler à un emploi

Marina Sarris | Réseau interactif sur l’autisme de l’Institut Kennedy Krieger
Lorsqu’elles intègrent le monde du travail, les personnes autistes sont confrontées à la question de révéler ou non leur diagnostic. Communiquer cette information peut permettre d’obtenir l’appui nécessaire, mais peut aussi entraîner un risque de stigmatisation. Le processus d’entrevue habituel peut se révéler difficile pour les personnes autistes, mais il existe des mesures d’adaptation pour ce processus.

TO TELL OR NOT TO TELL: DISCLOSING AUTISM IN THE WORKPLACE & CONSIDERATIONS FOR APPLYING FOR A JOB

De nos jours, les jeunes adultes qui entrent sur le marché du travail ont grandi à une époque où l’ouverture face aux handicaps est plus marquée. Les élèves autistes ont souvent suivi les cours avec ceux qui n’ont pas de handicaps. Les plans d’éducation spécialisés, appelés PES, ont veillé à ce que les enseignants sachent qu’un élève avait un handicap et nécessitait un certain appui pour réussir. Les étudiants qui s’inscrivaient au collège pouvaient le faire au bureau des services aux étudiants handicapés de leur campus pour leur garantir l’accès à certains « accommodements » propres à leur autisme, comme des copies des notes de cours.

Ainsi, une personne qui a l’habitude de dévoiler son autisme à l’école devrait-elle continuer de le faire lorsqu’elle intègre le marché du travail? Certains sont en faveur puisque communiquer cette information permet à un travailleur d’obtenir une mesure d’adaptation qui peut aider à l’obtention et au maintien d’un emploi. Certains disent toutefois que communiquer cette information pourrait mener à des formes subtiles ou évidentes de préjugés.

Michael J. Prince, un professeur canadien, a résumé le dilemme pour les personnes ayant un handicap « invisible », comme le trouble du spectre de l’autisme (TSA). « Lorsque la communication est la voie vers un processus d’adaptation en milieu de travail et qu’elle est souhaitable pour l’employé handicapé, a-t-il écrit, la décision de communiquer est très risquée et comporte de nombreux inconvénients potentiels, mais aussi des avantages1. »
Quels sont les pour et les contre? Si vous décidez de le communiquer, comment et quand devriez-vous le faire, et quelles mesures d’adaptation pouvez-vous demander?

Ces réponses sont importantes, car trouver et maintenir un emploi peut être difficile pour les adultes sur le spectre. Selon Wendy F. Hensel, une professeure américaine en droit, « les possibilités d’emploi des personnes autistes demeurent sombres ». Près de la moitié des personnes autistes ont au moins une intelligence moyenne, mais « seul un faible pourcentage a un emploi », a-t-elle écrit dans un article sur le droit2. En fait, les adultes autistes occupent plus rarement un emploi que les personnes ayant une déficience intellectuelle, des troubles de la parole et des difficultés d’apprentissage3.

LES POUR ET LES CONTRE DE RÉVÉLER SON AUTISME AUX EMPLOYEURS

Devriez-vous mentionner votre autisme? La plupart des spécialistes soutiennent que c’est une décision personnelle, selon les préférences et les besoins du travailleur.

Cette annonce n’est pas sans risques. Dr Prince, un professeur en politique sociale, mentionne que les personnes qui divulguent leur handicap peuvent être stigmatisées1. En 1963, le sociologue Erving Goffman a décrit la stigmatisation comme une forme de honte imposée par la société aux personnes qui présentent une caractéristique qui est discréditée. « En raison du grand avantage d’être vu comme normal, presque toutes les personnes qui sont dans une posture d’être considérées [comme normales] le feront volontairement à certains moments », a écrit le Dr Goffman.
En milieu de travail, les personnes ayant un handicap connu peuvent être vues comme indigentes ou être source de curiosité, être réservées pour les « postes subalternes » ou être oubliées dans les projets d’équipe, écrit le Dr Prince après avoir analysé divers articles sur le sujet. Si les choses tournent mal, la faute sera attribuée à leur handicap1.
Certains travailleurs craignent que s’ils révèlent un handicap, leurs employeurs cherchent une autre raison de les licencier, pour éviter que cela ne paraisse discriminatoire, a déclaré l’avocate Maureen van Stone, directrice associée du Centre en déficience développementale de Maryland. Les employeurs « sont capables de justifier le licenciement autrement », a-t-elle indiqué.

Néanmoins, selon madame van Stone et le Dr Prince, la divulgation apporte aussi des avantages, y compris des protections juridiques et des mesures d’adaptation. Dévoiler son handicap peut aussi réduire le stress de garder un secret, écrit le Dr Prince1. Masquer ou cacher ses symptômes « est bien souvent un exercice stressant et épuisant », fait dans le but d’éviter la discrimination et les réactions négatives des autres, a expliqué le psychologue Noah J. Sasson. Le Dr Sasson étudie les troubles sociaux de l’autisme à l’Université du Texas à Dallas.

Il existe peu de recherches pour comprendre si les personnes qui révèlent un handicap et profitent de mesures d’adaptation réussissent mieux sur le marché du travail que celles qui n’en profitent pas. Toutefois, une étude révèle que les adultes qui ont dévoilé leur diagnostic de TSA à leur employeur étaient plus de trois fois plus susceptibles d’être embauchés que ceux qui ne l’avaient pas révélé. Cette étude de 2016 menée par des chercheurs de New York n’a pas exploré les raisons. Les deux tiers des adultes interrogés détenaient un diplôme universitaire et ceux plus scolarisés étaient plus susceptibles d’avoir un emploi5.

AVOIR UN PIED DANS LA PORTE : LA DIVULGATION POUR LES ENTREVUES

Même si l’autisme peut être stigmatisé, le révéler peut jouer en la faveur du candidat s’il fournit une explication plus favorable de certains problèmes. Par exemple, selon la professeure de droit Hensel, un chercheur d’emploi ayant des lacunes inexpliquées dans son parcours professionnel et des problèmes de communication pourrait être évalué de manière plus positive si l’intervieweur sait qu’il est autiste2. L’absence d’explication et les difficultés de communication lors d’un entretien d’embauche peuvent certainement faire écarter la candidature », a-t-elle écrit.

Une petite étude a révélé que des étudiants postsecondaires autistes présentaient de subtiles différences de communication lors de simulations d’entretiens d’embauche. Ils prenaient plus de temps avant de répondre aux questions et parlaient pendant des durées plus variables que les autres étudiants, selon des chercheurs de l’Université de la ville de New York. Ces derniers ont recommandé que les étudiants postsecondaires ayant un TSA obtiennent du soutien pour gérer les premières impressions, une aptitude sociale utile pour les entretiens d’embauche6.

D’autres études ont aussi conclu que les premières impressions peuvent être problématiques pour les autistes. Des chercheurs de l’Université du Texas ont constaté que les observateurs avaient une première impression plus négative des personnes autistes que des autres personnes lorsqu’ils regardaient des vidéos et des photos ou qu’ils écoutaient des enregistrements sonores de ces personnes dans une situation sociale7. Une deuxième étude a révélé que les premières impressions s’amélioraient quand les observateurs savaient que la personne était autiste, surtout s’ils connaissaient bien l’autisme8.

Le Dr Sasson, qui a dirigé les deux équipes de recherche, a toutefois précisé que ces études n’impliquaient pas d’entretiens d’embauche. « Nous ne pouvons pas connaître les effets de la divulgation qui vont au-delà de ce que nous avons testé dans notre étude, et les risques et les avantages de la révélation dépendent probablement de la personne qui se révèle, à qui elle se révèle, pourquoi et comment elle se révèle, etc. »

QUELS TYPES DE MESURES D’ADAPTATION LES CANDIDATS AYANT UN TSA SOUHAITENT-ILS?

Dans une entrevue et dans un article de revue, madame Whetzel a donné des exemples de mesures d’adaptation préemploi reçues par des personnes ayant communiqué avec le Service d’information sur les aménagements (JAN). Par exemple, un demandeur d’emploi a réclamé plus de temps pour passer un examen écrit requis pour un poste de technicien de bibliothèque. Le demandeur a expliqué que sa faible motricité fine affectait son écriture. L’emploi n’exigeait pas que les livres soient rangés sur des étagères dans un temps donné, et la bibliothèque a accepté sa demande.

D’autres personnes autistes ressentent de l’anxiété ou éprouvent d’autres difficultés lorsqu’elles sont interrogées par des étrangers dans un nouvel environnement, comme c’est le cas lors des entretiens d’embauche. Elles ont demandé d’être interrogées par des plus petits groupes de personnes, ou même de mener le premier entretien par téléphone, a souligné madame Whetzel dans le Journal of Vocational Rehabilitation9.

Les personnes qui ont besoin de plus de temps pour réfléchir à une question et y répondre ont demandé de voir les questions de l’entretien à l’avance, révèle-t-elle. Cette requête peut être refusée s’il est jugé que le temps de réaction est essentiel à l’emploi. Un candidat pour un poste de pompier a demandé de voir les questions d’entrevue à l’avance, se souvient-elle. « Ils ont refusé, car il faut intervenir seul et rapidement lorsque l’on occupe un poste de pompier », a-t-elle expliqué.

Dans d’autres cas, a-t-elle mentionné, un employeur a trouvé un compromis pour un demandeur. Une personne autiste avait postulé pour un emploi de conseiller auprès des prisonniers. Plutôt qu’un entretien en personne, le demandeur avait suggéré à l’employeur de lui envoyer les questions de l’entrevue pour qu’il y réponde par écrit. L’employeur a refusé pour des raisons de sécurité. Le demandeur consulterait directement les détenus, et les intervieweurs voulaient évaluer ses compétences en personne. Ils ont toutefois apporté deux changements : ils ont permis au demandeur de voir les questions avant l’entrevue et ils ont fait passer le nombre d’intervieweurs de trois à deux9.
Avant de demander un aménagement pour un entretien d’embauche, madame Whetzel a conseillé d’être prêt à partager la nature du handicap et la manière dont il affecte votre capacité à participer au processus préalable à l’embauche.

QUAND DEVEZ-VOUS RÉVÉLER VOTRE AUTISME?

Qu’arrive-t-il lorsqu’un candidat a besoin d’aménagement pour un emploi, mais pas pour l’entretien d’embauche? Devrait-il parler de son autisme pendant l’entretien ou devrait-il attendre de recevoir une offre d’emploi ou de commencer à travailler?
Une fois de plus, cela dépend du contexte. « Bon nombre de personnes nous disent vouloir faire preuve d’ouverture dès le début. ‘‘Si un employeur ne veut pas travailler avec moi pendant le processus d’embauche, alors il ne travaillera pas avec moi après, et ce n’est pas un employeur avec qui je souhaite travailler’’, ont-elles expliqué. Selon nous [au JAN], il s’agit d’une décision personnelle. Toutefois, plus vous attendez avant d’en discuter, plus vos risques de discrimination diminuent », a expliqué madame Whetzel, ancienne éducatrice spécialisée. En d’autres mots, il peut être difficile de prouver qu’un employeur ne vous a pas embauché parce que vous avez révélé votre handicap pendant l’entretien. Or, si vous partagez cette information après avoir reçu une offre d’emploi, « vous savez que vous avez les aptitudes pour l’emploi, et ils devront montrer pourquoi l’offre est annulée », a-t-elle mentionné.
Que les chercheurs d’emploi choisissent de révéler leur TSA et de demander des mesures d’adaptation en conséquence ou non, madame Whetzel a quelques conseils pour les aider à décrocher les emplois qu’ils désirent. Elle a recommandé de se renseigner le plus possible sur les exigences d’un emploi – ce qu’ils devront réaliser et où ils devront le faire – et de réfléchir à la manière dont leurs compétences s’y rattachent.
Elle conseille aux candidats de réfléchir à ce qu’ils veulent et à l’endroit où ils s’épanouissent. Préférez-vous travailler dans un petit espace silencieux, seul ou avec quelques personnes? Certains employeurs vous accommoderont en vous fournissant un lieu de travail calme dans un espace séparé, a-t-elle indiqué, mais d’autres peuvent ne pas le faire, selon l’emploi. « Si vous n’arrivez pas à travailler dans une mer de cubicules, a-t-elle expliqué, alors vous devriez le savoir à l’avance. »

DEMEUREZ CONCIS ET PRATIQUEZ-VOUS

         « Les candidats doivent être préparés autant que possible. »
Elle encourage aussi les candidats à fournir des réponses « brèves et succinctes » durant les entretiens d’embauche. Comme ils peuvent interpréter la langue littéralement, certains autistes se butent à des questions générales ou vagues pendant les entretiens. Les intervieweurs qui demandent aux candidats de parler d’eux-mêmes ne s’attendent pas à de longues histoires personnelles, a-t-elle signalé. Ils souhaitent surtout savoir comment leur scolarisation et leur expérience sont liées à l’emploi.
La question d’entretien « Parlez-moi de vos champs d’intérêt et de vos activités préférées » représente un autre obstacle potentiel. De nombreuses personnes autistes ont des champs d’intérêt particuliers dont ils pourraient discuter longuement, mais les intervieweurs ne veulent pas une longue réponse. Pour donner des réponses concises, les chercheurs d’emploi peuvent noter quelques aspects de leurs champs d’intérêt à l’avance et s’y référer pendant l’entretien, a expliqué madame Whetzel.
Avant tout, elle encourage les candidats à pratiquer leurs techniques d’entrevues auprès d’un moniteur ou d’une personne avec qui ils peuvent mener une entrevue fictive et recueillir de la rétroaction. « Les candidats doivent être préparés autant que possible », a-t-elle signalé.

Références :

  1. Prince, M. J. (2017). Persons with invisible disabilities and workplace accommodation: Findings from a scoping literature review. Journal of Vocational Rehabilitation, 46(1), 75-86. doi : 10.3233/JVR-160844
  2. Hensel, W. F. (2017). People with autism spectrum disorder in the workplace: An expanding legal frontier. Harvard Civil Rights - Civil Liberties Law Review, 52(1), 73-102. Tiré de http://harvardcrcl.org/
  3. Shattuck, P. T., Narendorf, S. C., Cooper, B., Sterzing, P. R., Wagner, M., et Taylor, J.L. (2012). Postsecondary education and employment among youth with an autism spectrum disorder. Pediatrics, 129(6), 1042-1049. doi : 10.1542/peds.2011-2864
  4. Goffman, E. (1963). Stigma: Notes on the management of spoiled identity. Londres : Penguin Books.
  5. Ohl, A., Sheff, M. G., Little, S., Nguyen, J., Paskor, K. et Zanjirian, A. (2017). Predictors of employment status among adults with autism spectrum disorder. Work, 56, 345–355. doi : 10.3233/ WOR-172492
  6. Bublitz, D. J., Fitzgerald, K., Alarcon, M., D’Onofrio, J. et Gillespie-Lynch, K. (2016). Verbal behaviors during employment interviews of college students with and without ASD. Journal of Vocational Rehabilitation, 47(1), 79-92. doi : 10.3233/JVR-170884
  7. Sasson, N. J., Faso, D. J., Nugent, J., Lovell, S., Kennedy, D. P. et Grossman, R. B. (2017). Neurotypical peers are less willing to interact with those with autism based on thin slice judgments. Scientific Reports, 7, 1-10. doi : 10.1038/srep40700
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