Femme parlant devant un public
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La partie oubliée du spectre de l'autisme : Les personnes ayant peu de parole

Marina Sarris | Réseau interactif sur l’autisme de l’Institut Kennedy Krieger
Les personnes autistes ont des habiletés verbales qui varient d’une personne à l’autre, on retrouve donc des personnes qui parlent, qui parlent peu ou qui ne parlent pas. Outre la parole, d’autres façons de communiquer sont possibles, notamment grâce à de l’aide technologique.

THE NEGLECTED END OF THE AUTISM SPECTRUM: PEOPLE WITH LITTLE SPEECH

Joan Drebing a attendu les premiers mots de ses jumeaux. Bien que sa fille ait commencé à parler, son garçon, Ryan, semblait bloqué à « maman ». Lorsqu’il était âgé de 3 ans, sa famille a appris pourquoi : il avait un trouble du spectre de l’autisme (TSA).

Malgré l’orthophonie et les autres interventions, le langage de Ryan n’a pas rattrapé celui de sa jumelle. Maintenant âgé de 8 ans, il possède un langage fonctionnel faible, comme 25 à 30 pour cent des personnes autistes. « Nous savons à quoi ressemble sa voix, mais nous ne connaissons pas le son de sa parole », a dit madame Drebing un peu mélancolique.

Malgré l’essor de la recherche et de l’intérêt du public pour l’autisme au cours des dernières décennies, nous ne savons toujours pas pourquoi le langage fonctionnel demeure problématique pour certaines personnes autistes. « Nous n’en savons que très peu sur ce groupe puisqu’ils font rarement l’objet d’études », selon un article de 2013 rédigé par quelques spécialistes américains de l’autisme1.

Par conséquent, des perceptions erronées subsistent au sujet de ces enfants et de ces adultes, de leur compréhension du langage, de leur façon d’apprendre et du meilleur moyen de les aider à communiquer. Madame Drebing a déclaré, « nous avons besoin de plus de données sur le véritable niveau intellectuel des personnes qui communiquent de manières non verbales ».

Deux éminents spécialistes de l’autisme sont d’accord. Dans un article de 2013, ils ont déclaré : « nous ne savons presque rien au sujet des enfants plus âgés qui parlent peu. » Ils ont appelé leurs collègues chercheurs à commencer à en apprendre plus sur ceux « qui, pendant trop longtemps, sont restés à l’extrémité négligée du spectre de l’autisme2 ».

LE SPECTRE DU LANGAGE DE L’AUTISME

Il y a plusieurs décennies, de nombreuses personnes, voire la majorité, ayant un diagnostic d’autisme parlaient peu ou ne parlaient pas. Au tournant du 21e siècle, les spécialistes ont soulevé que plus de la moitié des enfants et des adultes ayant un TSA « n’utilisaient pas la parole de manière fonctionnelle3 ». Toutefois, la proportion de personnes autistes qui parlent a augmenté, en grande partie pour deux raisons. Les diagnostics et les traitements précoces sont devenus plus courants et efficaces. De plus, les frontières du diagnostic de l’autisme se sont élargies pour inclure les personnes ayant des symptômes plus légers ou aucun antécédent de retard de langage.

De nos jours, les personnes autistes se retrouvent le long d’un large spectre, allant des adultes habiles en communication verbale qui font des allocutions ou qui dirigent les discussions lors de conférences, à ceux qui ne parlent pas du tout. On dit des personnes qui font peu ou pas du tout usage de la parole qu'elles ont une part verbale faible ou absente et, si elles sont très jeunes, qu’elles sont au stade préverbal.

Certains chercheurs et cliniciens s’inquiètent que ces termes manquent de définitions précises et puissent induire les familles en erreur2. Par exemple, il n’y a pas consensus sur le nombre de mots qu’une personne doit prononcer pour être considérée comme une personne qui parle. Les spécialistes s’entendent toutefois pour dire que les personnes qui communiquent verbalement utilisent des combinaisons de mots de manière « spontannée » et « régulière » pour communiquer avec les autres3.

Les orthophonistes ne se concentrent généralement pas sur le nombre de mots qu’utilisent les enfants, mais plutôt sur la manière dont ils les utilisent, a expliqué Kate Smidl, orthophoniste à l’unité neurocomportementale et à la clinique externe d’orthophonie de l’Institut Kennedy Krieger à Baltimore, États-Unis. L’enfant peut-il demander ce qu’il désire, poser une question ou émettre un commentaire? « Nous observons à quel point le langage d’un enfant est fonctionnel », explique-t-elle. Un enfant qui répète des phrases tirées d’un film hors contexte – un symptôme de l’autisme appelé écholalie – pourrait être considéré comme ayant un langage peu fonctionnel. Il en va de même pour un enfant qui ne peut former aucun mot, a-t-elle expliqué.

Personne ne sait exactement pourquoi, malgré l’orthophonie et les autres interventions, certains enfants n’apprennent pas à parler avec aisance. Helen Tager-Flusberg Ph. D., spécialiste dans ce domaine, faisait partie de celles et ceux qui ont lancé cet appel en 2013 demandant plus de recherches sur cette population. Dans un entretien par courriel, elle a indiqué que la recherche pointe vers plusieurs possibilités.

Certains enfants peuvent éprouver des difficultés avec le traitement auditif par lequel leur cerveau interprète les mots qu’ils entendent. D’autres peuvent avoir des « troubles oro-moteurs » comme des symptômes d’apraxie verbale de l’enfant, a-t-elle indiqué. L’apraxie affecte la capacité de l’enfant à planifier et à former des séquences dans les mouvements de la bouche et de la langue nécessaires aux langages. « Il existe aussi des différences dans l’anatomie du cerveau, notamment dans la connectivité dans le réseau de production de la parole. Toutefois, il y a tant de choses que nous ne connaissons pas encore, car peu de recherches ont été effectuées », a déclaré Dre Tager-Flusberg, professeure en sciences psychologiques et du cerveau à l’Université de Boston, où elle dirige le Centre d’excellence en recherche sur l’autisme.

Selon un article des Dres Tager-Flusberg et Connie Kasari2, un « principe répandu » suppose que tous les enfants qui n’arrivent pas à parler aient un quotient intellectuel inférieur. Toutefois, elles signalent que ce n’est pas universellement vrai.

Ryan, qui démontre sa compréhension des mots qu’il ne peut pas prononcer. Lorsque madame Drebing a demandé à Ryan s’il voulait promener leur chien, il a répondu en mettant de côté son iPad et en prenant ses souliers pour aller dehors. Ses actions ont montré qu’il avait compris la question et il a communiqué un « oui » enthousiaste même s’il n’a pas prononcé le mot.

« SI TU VEUX QUELQUE CHOSE, DIS-LE-MOI »

« Lisa » a posé sa tête sur son pupitre dans sa salle de classe. C’était un lundi matin grisâtre, et Lisa (nom fictif) arrivait à peine à garder les yeux ouverts. Stefanie Carberry, une orthophoniste, était assise devant l’adolescente endormie, deux tablettes électroniques iPad en main. L’une de ces tablettes avait accès à TouchChat HD, une application de communication pour les personnes qui souffrent de troubles du langage tandis que l’autre disposait d’un jeu vidéo impliquant des bulles.

« Bon, nous allons faire éclater quelques bulles », avait dit avec entrain madame Carberry. Lisa a relevé sa tête et a touché distraitement l’écran de l’iPad suffisamment pour que l’on entende le bruit des bulles qui éclataient « pop, pop ».
« À quoi as-tu joué? », a demandé madame Carberry.

Lisa s’est à nouveau réveillée et a attrapé le iPad qui contenait TouchChat. Elle a fait défiler les pages de petits encadrés contenant des images et des mots. En appuyant sur les encadrés dans un ordre précis, Lisa a formé une phrase simple. Elle a appuyé sur l’encadré « je joue » et une voix d’ordinateur a dit « je joue », puis elle a appuyé sur « bulles », et la voix a dit « bulles ». TouchChat est une forme de communication alternative et augmentée (CAA) qui, dans ce cas, est une technologie qui aide une personne à communiquer en appuyant d’elle-même sur des images, des mots ou des lettres.
Lisa reposa sa tête sur le bureau. Madame Carberry a dit « si tu veux quelque chose, dis-le-moi. Autrement, nous allons continuer de travailler ».

C’était le signal pour Lisa, et elle le comprit. Elle a levé la tête et, d’un doigt, a parcouru les encadrés d’images de l’iPad pour sélectionner ce qu’elle voulait dire à voix haute : « Je veux m’asseoir à mon pupitre ». Grâce à cette phrase, Lisa a obtenu quelques minutes de repos ininterrompu.

Comme l’a expliqué plus tard madame Carberry, le personnel à LEAP prépare leurs étudiants plus âgés aux programmes de travail ou de jour auxquels ils participeront après l’école publique qui s’arrête à 21 ans. Les personnes qui ne parlent pas, comme Lisa, auront besoin de moyens pour dire qu’elles veulent une pause ou désirent quelque chose.

LE LIEN ENTRE LA COMMUNICATION ET LE COMPORTEMENT

La communication pourrait bien être l’élément essentiel à la prévention de certains comportements difficiles qui peuvent se manifester chez les jeunes autistes. L’hypothèse largement admise4 est que les jeunes qui ne peuvent pas communiquer deviennent contrariés, et cela alimente des comportements comme frapper les autres, s’automutiler, prendre la fuite, crier ou faire des crises de colère. Les jeunes qui ne parlent pas ou qui parlent peu ont été surreprésentés parmi les patients autistes admis aux unités spéciales de psychiatrie des six hôpitaux, selon les chercheurs de l’étude Autism Inpatient Collection5.

Fait intéressant, cette étude sur l’autisme en milieu hospitalier a présenté une vision plus nuancée du rôle de la communication dans certains comportements difficiles. Les chercheurs ont constaté que les capacités d’adaptation étaient plus importantes que les aptitudes verbales lorsqu’il s’agissait d’agressivité et de crises de colère4. Toutefois, cela ne veut pas dire que la communication n’est pas importante. Ils supposent donc que de disposer d’un moyen de communiquer améliore le comportement d’une personne puisque cela renforce sa capacité à faire face aux problèmes quotidiens4.

LA COMMUNICATION COMME BESOIN HUMAIN FONDAMENTAL

Les spécialistes s’accordent pour dire que tout le monde a besoin d’un moyen de communiquer, que ce soit par l’entremise de mots prononcés ou de communication alternative et augmentée, une catégorie assez vaste qui englobe la langue des signes, les gestes, les images, les mots écrits et les appareils électroniques comme celui utilisé par Lisa. L’American Speech-Language-Hearing Association, qui regroupe des orthophonistes et des audiologistes, estime que la communication efficace devrait être « accessible et atteignable pour tous6 ».

La première expérience d’un jeune avec la CAA se produit souvent sous forme d’un petit carré plastifié qui comporte un dessin simple et un mot. « Les jeunes enfants commencent souvent à utiliser la CAA à l’aide d’appareils ayant une technologie rudimentaire, comme des tableaux avec des images ou des pictogrammes », a expliqué madame Smidl. « Les enfants commencent par apprendre que les images représentent leurs biens, leurs jouets ou leur nourriture, et ils peuvent commencer à demander des choses, comme des biscuits. L’enfant apprend à pointer l’image d’un biscuit ou à échanger une image d’un biscuit pour ensuite obtenir un véritable biscuit. Ils apprennent la cause à effet de la communication », a indiqué madame Smidl.

Le système de communication par échange d’images (PECS) représente l’un de ces systèmes d’images qui s’appuient sur les principes comportementaux. Le National Autism Center, qui étudie les preuves scientifiques des interventions pour l’autisme, indique que les PECS sont une « intervention émergente » qui doit être davantage analysée7, mais un autre examen a constaté que les PECS sont probablement efficaces8.

Par le passé, certaines personnes se sont inquiétées que l’utilisation d’images ou d’autres formes de communication alternative puissent interférer avec le développement de la parole et du langage d’un enfant. En fait, ce n’est pas le cas, a souligné madame Smidl. Certaines recherches indiquent que la CAA ne « nuit pas au langage9 », d’autres études constatent des gains mineurs ou infimes et d’autres mentionnent qu’aucun gain n’est lié au lagage11.

D’autres possibilités de communication sont plus technologiques. Les enfants et les adultes peuvent utiliser des dispositifs générateurs de paroles. Les orthophonistes peuvent contribuer à choisir un système de CAA qui convient à un élève précis.

QUELLE EST LA DIFFÉRENCE ENTRE LA COMMUNICATION AUGMENTÉE ET LA COMMUNICATION FACILITÉE?

La communication augmentée est parfois confondue avec la communication facilitée, ou CF, car elles peuvent recourir à des appareils semblables. Toutefois, elles sont différentes. En communication augmentée, l’élève ayant un handicap appuie sur l’appareil ou tape sur un clavier par lui-même. En CF, toutefois, un facilitant touche l’élève, généralement la main ou le bras, alors que ce dernier tape au clavier, pointe des lettres ou emploie un appareil de communication.
Selon l’American Speech-Language-Hearing Association, « il n’y a pas de preuves scientifiques qui appuient la CF, et de nombreuses preuves scientifiques – recueillies sur plusieurs décennies et dans plusieurs pays – démontrent que les messages sont médiatisés par le “facilitant” plutôt que par la personne ayant un handicap12 ». Le National Autisme Centre a déclaré qu’il y a « peu ou pas de preuves dans la littérature scientifique qui puissent nous permettre de tirer des conclusions fermes au sujet de [son] efficacité chez les personnes ayant un TSA7 ».

LES DIFFICULTÉS DES PERSONNES QUI PARLENT PEU

« Les réponses (et il y a probablement de nombreux facteurs) proviendront d’un éventail de disciplines différentes, et il est essentiel d’intégrer à ce domaine de recherche sur le TSA des personnes qui possèdent de l’expertise dans d’autres domaines, comme la science du langage, la science auditive, la neuroscience et la génétique. »
Nous vivons dans un monde qui tourne autour du langage et être limité en ce sens peut compliquer presque tout, même ce que les chercheurs connaissent à ce sujet. De nombreuses études sur l’autisme excluent les enfants qui ont un langage limité ou des retards de développement importants, car les tests nécessaires à la recherche exigent généralement que l’enfant comprenne un certain niveau de langage2. Pour corriger ce problème, quatre chercheurs ont parcouru une liste d’évaluations courantes dans les recherches sur l’autisme et ont découvert des résultats mitigés sur l’utilité de ces évaluations pour les enfants qui parlent peu1.
Parfois, le seul fait de réaliser un test standardisé peut être difficile pour des raisons qui vont au-delà du langage. Les évaluations peuvent exiger qu’un enfant suive des directives, qu’il tolère un nouvel environnement ou de nouvelles personnes, ou qu’il soit attentif, ce qui peut s’avérer difficile pour l’enfant autiste. Les chercheurs se sont penchés sur des solutions à haute technologie pour répondre au problème d’évaluation des capacités langagières et de l’intelligence chez les personnes qui parlent peu, bien que ces solutions soient encore aux étapes préliminaires de leur usage pour l’autisme.

Les mesures des ondes cérébrales ou des mouvements oculaires pourraient-elles nous fournir plus de renseignements sur une personne qui parle peu? Par exemple, les systèmes de détection des mouvements oculaires pourraient mesurer le temps qu’un enfant regarde une image sur un écran d’ordinateur, laquelle pourrait indiquer les mots qu’il comprend et ceux qu’il ne comprend pas. D’autres solutions possibles consistent à mesurer l’activité électrique du cerveau d’un enfant, à partir d’électrodes fixées à sa tête, lorsqu’il regarde l’écran d’un ordinateur et entend des mots2.
Dans leur article de 2013, les Dres Kasari et Tager-Flushberg ont demandé la réalisation de recherches qui examinent pourquoi l’autisme – qui affecte les habiletés sociales – a un effet plus important sur la capacité à parler que la déficience intellectuelle elle-même. « Quel que soit le degré de déficience intellectuelle, l’enfant ayant un TSA est plus susceptible de ne pas avoir recours à la parole2. »

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