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Communication adaptée à la culture avec les familles dont un enfant est autiste : une boîte à outils pour les fournisseurs de soins de santé

SAAC
Des informations utiles sont fournies aux prestataires de soins de santé dans le but d'offrir une communication adaptée à la culture avec les familles dans lesquelles un enfant est évalué pour une déficience intellectuelle. Cette orientation est particulièrement pertinente compte tenu de la diversité ethnoculturelle du Canada et de l'importance de la personne et de la famille dans la prestation de services. La boîte à outils a été développée par le South Asian Autism Awareness Center (SAAAC) et en particulier Arjun (AJ) Balasingham et le Dr Shivajan Sivapalan.

Une communication adaptée à la culture avec les familles d’enfant autiste:

une trousse d’outils pour les praticiens de la santé

 

Remerciements

 

Cette trousse d’outils pour une communication adaptée à la culture a été créée par l’équipe de projet du South Asian Autism Awareness Centre (SAAAC), avec l’aide financière d’Autisme Ontario et d’AIDE Canada.

 

Membres de l’équipe de projet du SAAAC :

  • Arjun (AJ) Balasingham, Université Concordia, Kinark Child and Family Services (membre du conseil d’administration)
  • Dr Shivajan Sivapalan, South Asian Autism Awareness Centre (SAAAC)

 

L’équipe du projet du SAAAC souhaite également remercier Lauren Tristani, Ph. D. et David Nicholas, Ph. D. qui ont relu d’un œil critique le contenu de ce document.

 

Comment citer ce document 

 

Référence suggérée : Balasingham, AJ et Sivapalan, S. (2021). Une communication adaptée à la culture avec les familles d’enfant autiste : une trousse d’outils pour les praticiens de la santé. South Asian Autism Awareness Centre (SAAAC), Toronto (Ont.).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une communication adaptée à la culture pour les familles d’enfant autiste:

une trousse d’outils pour les praticiens de la santé

 

L’autisme, ou trouble du spectre de l’autisme (TSA), est un trouble neurodéveloppemental qui se caractérise par des défis liés aux habiletés sociales et à la communication non verbale ainsi qu’aux comportements répétitifs, intérêts restreints et préférences ou aversions sensorielles[1]. Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) en décrit les critères diagnostiques. Une intervention précoce peut rehausser les capacités d’apprentissage et les habiletés communicationnelles et sociales, de même que le développement cérébral sous-jacent. Les interventions sont basées, selon chaque cas, sur des données probantes. D’autres types d’interventions, par exemple des services d’orthophonie et d’ergothérapie, s’avèrent également bénéfiques pour nombreux enfants ayant un diagnostic d’autisme; là aussi, il est essentiel d’intervenir rapidement pour exercer des effets positifs à long terme sur les symptômes et les habiletés futures.

 

De récentes données des Centers for Disease Control and Prevention indiquent que les TSA touchent un enfant de huit ans sur 59[2]. Malgré une atténuation depuis quelques années des différences de prévalence selon la race et l’origine ethnique, on continue d’observer, chez les enfants qui ont déjà été évalués une fois rendus à l’âge de 36 mois, des disparités qui favorisent les enfants démographiquement classés comme « blancs ». Les données publiées en 2018 dans un rapport de l’Agence de la santé publique du Canada corroborent généralement les résultats de prévalence obtenus aux États-Unis[3]. Selon des données sur l’éducation, la santé et les services sociaux recueillies auprès de sept gouvernements provinciaux et territoriaux participants (Terre-Neuve-et-Labrador, Nouvelle-Écosse, Île-du-Prince-Édouard, Nouveau-Brunswick, Québec, Colombie-Britannique et Yukon) qui représentent 40 % des enfants et des adolescents canadiens, un enfant sur 66 âgé de 5 à 17 ans aurait reçu un diagnostic de TSA. Ces données révèlent également que le taux de diagnostic est quatre fois plus élevé chez les garçons que chez les filles. Cette étude ne contenait malheureusement aucune donnée sur l’ethnicité. Soulignons toutefois que seulement 56 % des enfants autistes avaient reçu leur diagnostic à six ans ou avant.

Une des priorités établies dans l’enquête nationale sur l’évaluation des besoins publiée en 2014 par l’Alliance canadienne des troubles du spectre de l’autisme (ACTSAA)[4] consiste à procéder à une sensibilisation ciblée des communautés de la diversité linguistique et culturelle, en vue de mieux comprendre leurs besoins en services et de leur faciliter l’accès aux services. D’autres études menées au Canada visaient à cerner les  déterminants sociaux de la santé (comme le statut socioéconomique du quartier) dans l’évaluation de la prévalence des TSA[5].Il importe de souligner que cette étude relevait un lien entre les taux élevés de désavantage structurel (p. ex. inégalité dans la qualité des ressources et dans la qualité des équipements publics du quartier) et de piètres résultats développementaux chez les enfants. Outre ce désavantage structurel, on constatait que les normes et valeurs sociales définies par la culture dominante avaient une incidence sur le développement des enfants. Point important, il peut y avoir chez certaines familles immigrantes des facteurs qui diminuent la volonté parentale d’accepter l’existence d’un problème de développement chez leur enfant, comme la peur de se faire quitter par le conjoint ou la crainte d’un impact négatif sur les chances pour les autres membres de la famille de se marier. Il faut que les professionnels de la santé prennent en compte ces enjeux culturels dans leurs interactions avec les parents et les aidants d’origines culturelles différentes, pour faciliter le dialogue et accroître les chances d’acceptation d’un diagnostic de TSA chez l’enfant.

 

Ce qu’on sait à propos du TSA:

 

Bar chart

 

Doctor
 

Puzzle pieces

 

 

Que peuvent faire les professionnels de la santé et les fournisseurs de services pour combler ces disparités dans les soins aux individus et aux familles?

 

 

 

 

 

Intelligence culturelle métacognitive (quotient culturel, ou QC)

Selon Davis et Wright, « le QC s’exprime comme étant la capacité de reconnaître les croyances, les valeurs, les attitudes et les comportements communs d’un groupe de personnes et, plus important encore, d’appliquer concrètement ce savoir à un objectif spécifique »[6]. En matière de soins de santé, la prise en compte des caractéristiques de culture, de langue, de religion, de sexe/genre et de race ou d’ethnie peut améliorer la prestation des soins. En l’occurrence, l’objectif spécifique est un diagnostic rapide de TSA - un objectif qui exige du professionnel de la santé un QC élevé qui l’amène à nouer avec les divers aidants une communication adaptée à la culture.

Mais comment peut-on acquérir un QC élevé? Comme le soulignent Davis et Wright, le QC a pour prémisse que le concept de « culture » peut être défini et compris, ce qui représente en soi un défi de taille[7]. Wright définit la culture comme « l’ensemble des savoirs, croyances et pratiques d’une société donnée… », alors que pour l’anthropologue Christoph Brumann, le mot « culture » peut être « retenu comme un terme pratique » pour étiqueter les « grappes d’émotions, de pratiques et de concepts communs qui émergent des interactions régulières d’individus »[8]. La difficulté de définir la culture avec un quelconque degré de précision théorique influence peu le discours politique et public dans de nombreuses sociétés occidentales, y compris au Canada, où les cultures non occidentales sont souvent caricaturées comme étant arriérées, patriarcales, oppressives, malsaines et mal informées.[9] Dans ce contexte, le QC métacognitif, défini comme « la capacité de conscience et de perception lors des interactions interculturelles », s’avère bénéfique durant le processus de diagnostic du TSA[10]. Par conséquent, un aspect essentiel du diagnostic consiste à créer un espace sûr où l’on peut communiquer de l’information et écouter les familles sans jugement, en vue de comprendre leurs pratiques et croyances culturelles.

Les normes culturelles et sociales sont les « règles ou attentes de comportement » généralement « non dites » qui représentent les conventions sociales quant à l’adéquation du comportement individuel[11]. Selon Ng, Dyne et Ang, « les personnes qui présentent un haut QC métacognitif ont consciemment connaissance des préférences et normes culturelles - avant et pendant les interactions ».

La culture influence la façon dont les familles, les professionnels de la santé et la société comprennent et traitent les troubles du développement. Particulièrement dans le cas du TSA et des critères comportementaux nécessaires au diagnostic, l’influence des normes culturelles sur les considérations subjectives entourant les normes de comportement peut enfoncer un coin entre les professionnels de la santé et les parents[12]. En outre, les croyances culturelles auront pour effet de biaiser les stratégies de gestion ou de traitement. À partir du moment où ils auront une meilleure compréhension des perspectives et des préférences des familles, les professionnels de la santé pourront adapter leurs stratégies et leur approche de gestion pour accroître la probabilité d’acceptation du diagnostic et d’adhésion aux stratégies de gestion.

 

Head with gears

 

Boardroom

 

Venn diagram

 

 

Comment les professionnels de la santé peuvent-ils nouer une communication adaptée à la culture?

 


La présente trousse d’outils contient des informations basées sur des données probantes qui aideront les professionnels de la santé à amorcer avec les aidants naturels une communication efficace et adaptée à la culture, pour établir un dialogue qui :

 

  1. Reconnaît le rôle des normes culturelles dans l’évaluation des TSA;
  2. Combat la stigmatisation des TSA;
  3. Comprend/repère les possibles disparités dans l’accès aux options de gestion.

 

Le rôle des normes culturelles

 

Le comportement joue un rôle dans l’évaluation et le diagnostic de l’autisme. L’influence des normes culturelles sur les considérations subjectives entourant les normes de comportement peut créer un clivage entre les professionnels de la santé et les parents[13]. Un des principaux obstacles qui surgissent durant le processus de dépistage est le contexte culturel et son impact sur l’interprétation par les parents du comportement de leur enfant. Dans certaines cultures, les indicateurs standards d’un TSA peuvent ne pas soulever l’inquiétude des parents de jeunes enfants. Le contact visuel en est un exemple classique. Dans la plupart des cultures occidentalisées, on enseigne aux enfants que le contact visuel est important pour une communication significative; d’autres cultures leur enseignent par contre que le contact visuel direct est irrespectueux[14]. Dans le même esprit, pointer de l’index un objet d’intérêt n’est pas une pratique courante dans certaines cultures asiatiques[15].

 

Plus généralement, les différences de pratiques et de croyances culturelles concernant le développement de l’enfant peuvent influencer l’âge de détection du TSA. Ainsi, certaines cultures peuvent i) encourager l’indépendance des enfants à un âge plus avancé que dans les cultures occidentales; ii) favoriser les interactions familiales plutôt que l’utilisation de jouets; iii) inciter les enfants à demeurer tranquilles ou à parler seulement quand on le leur demande. Par conséquent, les professionnels de la santé doivent, avant d’évaluer le TSA, tenir compte des normes culturelles pour mieux comprendre les attentes entourant le développement de l’enfant. De plus, les stratégies de gestion ou de traitement (intervention développementale ou psychosociale, psychothérapie, médication, suppléments vitaminiques/minéraux ou régime alimentaire, etc.) peuvent être biaisées en faveur des croyances culturelles, sans nécessairement reposer sur des données probantes. Dans certaines situations, on peut faire appel à un courtier/agent de liaison culturel ou à un partenaire de santé communautaire qui a forgé une relation avec la famille pour mieux expliquer la nature du TSA et les options de gestion ou de traitement.

 

Mini-scénario

Une mère se présente au cabinet de son médecin de famille pour le bilan de santé de son fils de 18 mois. Récemment immigrée du Vietnam, la mère est accompagnée d’un agent de santé communautaire qui l’aide à s’orienter parmi les services auxquels elle et son fils ont droit. Dans la salle d’attente, la mère a rempli les listes de vérification sur les étapes de développement, dont la liste LookSee pour les enfants de 18 mois et la Modified Checklist for Autism in Toddlers Revised. En examinant les réponses données par la mère, le médecin note quelques préoccupations concernant le manque de contact visuel et le fait que l’enfant ne pointe pas du doigt les objets qui l’intéressent. Il soupçonne maintenant que l’enfant peut présenter certains signes avant-coureurs d’un retard de développement, et peut-être de l’autisme. Durant l’examen, le médecin constate que l’enfant n’établit pas un bon contact visuel et qu’il baisse plutôt les yeux. Cependant, l’enfant suit les instructions simples qu’on lui donne et peut, quand on le lui demande, identifier les animaux illustrés dans un livre. Le médecin demande à la mère si elle a des inquiétudes au sujet du développement de l’enfant. La mère répond par la négative, avec de brèves phrases et peu de contact visuel.

 

Réflexion

Quelles préoccupations vous viennent à l’esprit au sujet du développement de l’enfant?

Quelles préoccupations émanent des aidants naturels au sujet de développement de l’enfant?

Comment procéderiez-vous pour poser des questions supplémentaires visant à mieux comprendre les symptômes?

Le manque de contact visuel chez l’enfant s’explique-t-il par un retard de développement ou une norme culturelle?

Existe-t-il une autre façon d’évaluer le contact visuel?

Est-ce que le parent évite aussi le contact visuel?

Comment se passe l’interaction entre le parent et l’agent de santé communautaire? Est-ce que le parent évite également le contact visuel avec ce dernier?

Y a-t-il des renseignements que le médecin peut obtenir de l’agent de santé communautaire pour mieux évaluer l’enfant?

 

Post-réflexion:

Après avoir considéré les questions ci-dessus et y avoir réfléchi, le médecin décide de contacter l’agent de santé communautaire pour lui faire part de ses préoccupations et lui demander si la mère a bien compris les questions des listes de vérification. L’agent de santé communautaire lui communique de précieuses informations, notamment en soulignant que le contact visuel direct est considéré comme un manque de respect dans la culture de la mère, encore plus quand on s’adresse à un médecin. Le médecin décide alors de demander à la mère de l’aider à évaluer l’enfant. Il lui dit que l’interaction parent-enfant donne une meilleure idée des capacités de l’enfant. En s’adjoignant l’aide de la mère dans l’évaluation, le médecin est en mesure de constater que l’enfant a un bon contact visuel et peut communiquer ses intérêts à sa mère.

 

Communication adaptée à la culture (choses à faire et à ne pas faire)

Dans le scénario qui précède, le médecin s’est tout d’abord laissé du temps pour réfléchir au cas de l’enfant, en s’abstenant de conclure hâtivement que l’enfant avait un retard de développement. Il a plutôt parlé à l’agent de santé communautaire, et celui-ci a pu brosser un contexte culturel plus étoffé qui a aidé le médecin à faire une évaluation plus précise. En mettant la mère à contribution, il lui a permis de se sentir davantage bienvenue et écoutée. De plus, dans l’hypothèse où il observe les mêmes préoccupations durant l’interaction mère-enfant, le médecin peut alors baser sa conversation avec la mère sur cette interaction.

 

Contrer la stigmatisation

 

Selon une récente revue systématique de la littérature, les parents d’enfants autistes subissent la stigmatisation par association (aussi appelée stigmatisation de courtoisie). On observe aussi une stigmatisation internalisée[16]. Plus précisément, les mères immigrantes hésitent à reconnaître un diagnostic de TSA chez leurs jeunes enfants afin de garder espoir pour l’avenir de l’enfant[17].Elles peuvent également s’inquiéter de leur propre avenir – si elles sont blâmées pour le diagnostic de l’enfant, ou pour les perspectives de mariage des membres de leur famille – si les frères et sœurs de l’enfant ne sont pas mariés. De toute évidence, il est nécessaire de combattre la stigmatisation subie par les aidants naturels. Leur perception de l’autisme influence la façon dont ils présentent leurs enfants aux autres. Souvent, les professionnels de la santé vont employer le terme «problème» (par exemple, quel «problème» a votre enfant), une notion qui va cadrer négativement la conversation dans l’optique du parent[18].

Des recherches ont mis au jour les facteurs prédictifs susceptibles d’atténuer la stigmatisation associée à l’autisme. Citons notamment une meilleure connaissance de l’autisme, la qualité du contact avec les personnes autistes, l’ouverture à l’expérience et une moindre acceptation des inégalités[19]. Il importe, pour les professionnels de la santé, d’être plus sensibles à l’impact de la stigmatisation et de lutter contre la stigmatisation, en vue d’accroître la réceptivité des aidants aux conversations sur le dépistage, le diagnostic, la gestion et le soutien. De plus, le recours à un courtier/agent de liaison culturel ou à un partenaire de santé communautaire qui a établi une relation avec la famille peut permettre d’améliorer la compréhension du TSA et des options de gestion.

 

Mini-scénario

Une mère amène sa fille de quatre ans à sa visite de suivi chez le pédiatre du développement. Elle appréhendait ce rendez-vous et a failli ne pas s’y présenter. Lors de la dernière visite, le pédiatre avait procédé à une évaluation par le jeu de sa fille et soulevé certaines inquiétudes au sujet de son développement. Il avait prononcé le mot «autisme», dont la mère ignorait la signification. La mère est originaire du SriLanka, et le mot équivalent dans sa langue a une connotation très négative. Les résultats qu’elle a obtenus en cherchant «autisme» sur Google l’ont découragée. Elle a essayé de parler à sa mère, qui s’est inquiétée de la façon dont sa famille serait perçue dans la communauté.  Comme le père de l’enfant travaille durant la journée, la mère a toujours été seule à assister aux rendez-vous. Elle craint de mentionner quoi que ce soit à son mari, de crainte qu’il la blâme et qu’il la quitte, ce qui entacherait sa réputation et celle de sa famille.

 

Durant la visite de suivi, le pédiatre informe la mère que sa fille est autiste et aura besoin de soutiens tout au long de sa vie, aussi bien pour communiquer que pour gérer ses comportements. Après avoir expliqué ce qu’implique le diagnostic, notamment sur le plan scolaire, le pédiatre remet à la mère une liste de ressources et l’informe que son travailleur social la contactera dans quelques semaines. La mère demeure assez silencieuse pendant la discussion, et se contente de demander si sa fille pourra aller à l’université. Le pédiatre lui répond que c’est difficile à dire pour l’instant.

 

Le pédiatre lui remet ensuite une série de demandes d’analyses sanguines pour sa fille, en lui expliquant la raison des analyses. Il lui demande si elle a d’autres questions, et la mère répond par la négative. Le pédiatre propose alors de fixer un rendez-vous de suivi avec la mère et la fille dans trois à sixmois.

 

Réflexion

 

Quelles préoccupations vous viennent à l’esprit?

Quelles préoccupations émanent des aidants naturels?

Comment pouvez-vous calmer les inquiétudes/craintes?

Comment le pédiatre pourrait-il encourager une conversation plus ouverte avec la mère?

Est-ce que la mère a déjà entendu le mot « autisme », et si oui, qu’est-ce qu’il signifie pour elle?

Aurait-il été bon que le pédiatre demande à la mère ce que l’autisme signifie pour elle, et ce que ça implique?

Aurait-il été utile de planifier un rendez-vous de suivi plus tôt, pour mieux prendre en compte les inquiétudes de la mère?

 

Post-réflexion:

Après avoir réfléchi, le pédiatre contacte un organisme communautaire qui œuvre auprès de la communauté sri lankaise, et qui lui fournit de précieuses informations sur la stigmatisation et les obstacles que rencontrent les familles lorsqu’il s’agit de TSA. Le pédiatre contacte la mère pour la convoquer à une visite de suivi, en lui demandant si elle serait plus à l’aise en étant accompagnée par un membre de la famille ou son mari. Elle le remercie de l’offre et demande si elle peut amener sa mère.

 

Durant la visite, le pédiatre demande à la mère de l’enfant comment vont les choses depuis la dernière visite, et comment se porte sa fille. Il lui demande aussi si elle a déjà entendu le terme « autisme », et si oui, quelle en est son interprétation. La mère en profite pour expliquer ce que sa famille lui a dit au sujet des enfants autistes, et quelle a été son expérience à ce sujet au Sri Lanka. Elle se met à pleurer et exprime sa crainte d’être blâmée par tout le monde pour le diagnostic de son enfant. Le pédiatre prend le temps de la rassurer et de lui faire valoir qu’elle n’est pas à blâmer, même si on ignore encore en partie la cause du TSA. Il lui explique aussi que la situation d’un enfant autiste est différente au Canada, en raison des ressources disponibles. Sa fille pourra bénéficier de soutiens pour concrétiser son plein potentiel, et puisqu’elle est assez jeune, les résultats seront encore meilleurs grâce à ces soutiens. Ces propos rassurent la mère, qui demande si l’obtention de résultats normaux aux analyses sanguines signifie l’absence de TSA. Le pédiatre explique que les analyses sanguines ne visent pas à détecter l’autisme, mais d’autres marqueurs génétiques. Il demande ensuite à la mère comment son mari a pris la nouvelle. La mère répond qu’elle n’a pas encore annoncé le diagnostic à son mari. Le pédiatre prend le temps de lui souligner qu’elle n’a pas à se blâmer, et il lui demande pourquoi elle n’a pas encore informé son époux. Elle dit craindre qu’il puisse la quitter. Le pédiatre propose d’avoir une conversation téléphonique avec elle et son mari, pour mieux expliquer la situation. Cette suggestion redonne de l’entrain à la mère, qui souligne l’importance pour son mari d’entendre la nouvelle de la bouche d’un médecin. Le pédiatre prend également le temps de demander à la grand-mère si elle a des questions, et d’y répondre.

 

Communication adaptée à la culture (choses à faire et à ne pas faire)

Une compréhension anticipée de la stigmatisation et des obstacles peut faciliter le dialogue avec les familles, particulièrement lors de l’annonce d’un diagnostic. Cela peut aider à mieux cadrer les conversations concernant les prochaines étapes, les bénéfices d’une intervention précoce et les façons d’aider l’enfant à atteindre son plein potentiel. Une famille qui se voit, dès le début, accablée d’information au sujet des défis qu’elle pourrait rencontrer risque de se replier sur elle-même et de s’abstenir de réagir, voire même refuser de chercher d’autres soutiens.

Dans certains cas, il peut être utile de proposer aux aidants des stratégies sur la façon de communiquer l’information à la famille élargie. En contextualisant la situation par rapport à leurs idées préconçues sur l’autisme, particulièrement en regard des expériences vécues dans leur pays d’origine ou de leurs valeurs culturelles, on peut aider les familles à mieux informer la famille élargie sur le diagnostic. Dans certaines cultures, il peut être essentiel qu’un médecin annonce le diagnostic au conjoint, pour que tout le monde soit au même diapason.

 

Par ailleurs, il est bon de laisser aux aidants le temps de traiter l’information. Dans la plupart des cas, l’aidant sera bouleversé le jour de l’annonce du diagnostic, et ne pensera pas nécessairement alors à poser des questions. Prévoir une visite de suivi peu après peut aider à raffermir la relation thérapeutique et à répondre aux éventuelles de la famille.

 

Disparités d’accès aux soins de santé

 

Les communautés de la diversité culturelle se caractérisent par leur inégalité d’accès, directement ou indirectement, à des soins de santé de qualité et à d’autres services[20]. Il importe que les professionnels de la santé soient conscients de ces disparités (barrières linguistiques, faibles revenus, limitations de transport, faibles réseaux sociaux) pour mieux comprendre les obstacles qui peuvent entraver l’accès de ces familles aux thérapies proposées, et pour déterminer les stratégies utiles pour les aidants.iv Idéalement, toutes les stratégies de gestion fondées sur des données probantes devraient être proposées et accessibles; cependant, en présentant aux aidants une profusion de services qui peuvent sembler hors de portée, on risque de miner leur motivation à explorer toute approche de gestion.

 

Scénario

Un père et une mère amènent leur fils de trois ans à son rendez-vous pédiatrique. Ils arrivent avec 30minutes de retard. Le pédiatre peut toujours les voir, mais il a peu de temps à cause de ce retard. Pendant qu’il termine avec un autre patient, il demande à la famille de remplir un questionnaire et une liste de vérification sur le développement de l’enfant.

 

Le personnel du cabinet médical demande à la famille si elle a besoin d’aide pour remplir les formulaires, mais la famille répond que ce n’est pas nécessaire. Après cinq minutes, la famille est appelée dans le cabinet du pédiatre, qui dit bonjour et demande: «Qu’est-ce qui vous amène aujourd’hui?» La famille est incertaine de la réponse à donner; remarquant cela, le pédiatre demande «Est-ce qu’il y a un problème avec votre fils?»

 

Le père répond qu’il n’y a pas de problème, mais que son fils ne parle pas encore. Il dit qu’il n’est pas inquiet, mais que le personnel de la garderie l’est. Il ajoute que lui-même a commencé à parler à l’âge de cinq ans, et que son fils fera probablement de même. Le pédiatre examine le questionnaire et le formulaire remplis par les parents, et constate l’absence de réponses à certaines questions. Sur la liste de vérification concernant le développement, le pédiatre remarque qu’aucune inquiétude n’est signalée. Cependant, lors de l’examen médical, le pédiatre observe que l’enfant pratique l’autostimulation dans la salle d’examen et met dans sa bouche certains des jouets été placés au sol. Le pédiatre appelle l’enfant par son nom, sans obtenir de réaction. Il craint maintenant que l’enfant puisse présenter un retard de développement, plus précisément, l’autisme. Il constate toutefois une grande anxiété chez les parents. Il note également que la mère parle très peu, et que son époux répond à toutes les questions.

 

Réflexion

Quelles préoccupations vous viennent à l’esprit?

Quelles préoccupations émanent des aidants naturels?

Comment pouvez-vous calmer les inquiétudes/craintes?

Est-ce que le pédiatre aurait pu accueillir la famille d’une autre façon?

Y a-t-il une raison pour laquelle le mari répond à toutes les questions?

Y a-t-il une barrière linguistique?

Serait-il bon de demander pourquoi ils étaient en retard?

Est-ce que les parents avaient des inquiétudes au sujet de leur fils?

 

Post-réflexion

Après réflexion, le pédiatre décide de modifier légèrement son approche. Il demande aux parents s’ils ont eu de la difficulté à trouver la clinique, assez éloignée de leur domicile. Le père répond qu’ils se seraient normalement rendus à la clinique en voiture, mais qu’ils ont plutôt opté pour le transport en commun en raison des coûts de stationnement. Le pédiatre précise que les patients ont droit à des cartes de stationnement pour leurs rendez-vous. Le père semble apprécier cette information.

 

Le pédiatre lui demande alors « De vous deux, qui passe la plus grande partie de la journée avec votre fils? ». Le père répond qu’il s’agit de sa femme, car lui-même cumule plusieurs emplois, en précisant qu’il a dû prendre congé pour venir à ce rendez-vous. Le pédiatre le remercie de cet effort, et il lui demande s’il y a des moments qui conviennent mieux aux rendez-vous de suivi, pour faciliter les choses à la famille.

 

Le pédiatre lui demande ensuite si son épouse a remarqué certaines choses préoccupantes, pendant qu’elle demeure à la maison avec son fils. Le père mentionne que sa femme préfère répondre par son entremise, car elle se sent plus à l’aise. Le pédiatre demande au père plus de détails sur son propre développement, en particulier sur le moment où il a commencé à parler. Après des questions plus détaillées, le père explique qu’il a commencé à tenir des conversations à l’âge de cinq ans, mais qu’il a prononcé son premier mot à près d’un an. Le pédiatre indique qu’il devra avoir un autre rendez-vous avec l’enfant pour mieux évaluer son développement, et qu’il s’efforcera de concilier le moment de ce rendez-vous avec l’emploi du temps des parents. Il prend également le temps d’expliquer les avantages d’un dépistage et d’une intervention précoces dans les cas d’autisme. Les parents repartent rassurés.

 

Communication adaptée à la culture (choses à faire et à ne pas faire)

Dans le scénario ci-dessus, après avoir réfléchi, le pédiatre a pu détecter les obstacles auxquels cette famille est confrontée, et proposer quelques solutions ciblées. Cela a aidé la famille à se sentir écoutée et comprise. Le pédiatre a également précisé à la famille ce que signifie « parler », en soulignant la différence entre imiter des sons de parole/prononcer des mots et utiliser des phrases simples. En prenant le temps d’expliquer à la famille les prochaines étapes à suivre et comment faire face aux obstacles qui s’annoncent, le pédiatre a augmenté la probabilité que cette famille poursuive son cheminement vers l’implication et l’accès aux services.

 

Sommaire

En se concentrant sur les aspects clés mentionnés ci-dessus, les professionnels de la santé peuvent entamer avec les aidants naturels une communication adaptée à la culture au sujet du dépistage, du diagnostic et des plans de traitement des enfants autistes.

 

 


[1] American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders. 5th ed. Arlington, VA: American Psychiatric Association; 2013.

[2] Maenner MJ, Shaw KA, Baio J, et coll. Prevalence of Autism Spectrum Disorder among children aged 8 Years. Autism and Developmental Disabilities Monitoring Network, 11 Sites, United States, 2016. MMWR Surveill Summ 2020;69(No. SS-4):1–12. DOI: http://dx.doi.org/10.15585/mmwr.ss6904a1external icon

[3] Ofner M, Coles A, Decou ML, et coll. Trouble du spectre de l’autisme chez les enfants et les adolescents au Canada 2018. Ottawa, Canada : Agence de la santé publique du Canada; 2018

[4] Canadian Autism Spectrum Disorders Alliance National Needs Assessment Survey; 2014. Available at: https://www.casda.ca/wp-content/uploads/2019/02/NationalNeedsAssessmentSurvey_July-30.pdf

[5] Siddiqua A., Duku E., Georgiades K., Mesterman R., Janus M. Neighbourhood-level prevalence of teacher-reported autism spectrum disorder among kindergarten children in Canada: A population level study. Social Science and Medicine – Population Health. 2019;10(2020):100520. doi: 10.1016/j.ssmph.2019.100520.

[6] Davis, Karen D. 2009. Cultural Intelligence and Leadership: An introduction for Canadian Forces Leaders. Kingston: Canadian Defense Academy Press (9)

[7] Davis, Karen D. 2009. Cultural Intelligence and Leadership: An introduction for Canadian Forces Leaders. Kingston: Canadian Defense Academy Press

[8] Brumann, Christoph. 1999. Writing for Culture: Why a successful concept should not be discarded. Current Anthropology, Vol. 40, No. S1, Special Issue Culture—A Second Chance? (February 1999), pp. S1-S27 Publishé par : The University of Chicago Press

[9] Thobani, Sunera. 2007. Exalted Subjects: Studies in the Making of Race and Nation in Canada. Toronto: University of Toronto Press

[10] Ng, Kok-yee, Linn Van Dyne et Soon Ang. 2009. From experience to experiential learning: Cultural intelligence as a learning capability for global leader. Academy of Management Learning & Education, Dec., 2009, Vol. 8, No 4 (déc. 2009), pp. 511-526

[11] WHO (World Health Organization). 2009. Changing cultural and social norms supportive of violent behaviour (Series of briefings on violence prevention: The evidence). Genève, Suisse : Organisation mondiale de la santé.

[12] Kang-Yi, CD, Grinker, RR, Beidas, R, Agha, A, Russell, R, Shah, SB, Shea, K, et Mandell, DS (2018). Influence of community-level cultural beliefs about autism on families’ and professionals’ care for children. Transcultural Psychiatry, 55(5), 623–647. https://doi.org/10.1177/1363461518779831

[13] Kang-Yi, CD, Grinker, RR, Beidas, R, Agha, A, Russell, R, Shah, SB, Shea, K, et Mandell, DS (2018). Influence of Community-Level Cultural Beliefs about Autism on Families’ and Professionals’ Care for Children. Transcultural psychiatry55(5), 623–647. https://doi.org/10.1177/1363461518779831

[14] Carruthers S et coll. A cross-cultural study of autistic traits across India, Japan and the UK. Mol Autism. 5 nov. 2018;9:52.

[15] Zhang J, Wheeler JJ, Richey D. Cultural validity in assessment instruments for children with autism from a Chinese cultural perspective. International Journal of Special Education. 2006;21:109–114.

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Photo by Jhon David on Unsplash

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